Les compositeurs du XIXe siècle pour le saxophone

Période de la fin du romantisme :

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(Biographie et audition)

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JEAN-BAPTISTE SINGELÉE

    JEAN-BAPTISTE SINGELÉE (1812-1876) Chef d’orchestre et compositeur né à Bruxelles. Violoniste, il joue dans divers orchestres (dont celui de l’Opéra comique de Paris), Puis tient le violon solo au Théâtre Royal de Bruxelles. Il dirige ensuite les orchestres des Théâtres Royaux de Gand et de Bruxelles. Compositeur prolifique, il est entre autres l’auteur de deux concerti et de nombreuses Fantaisies pour violon, de diverses pièces instrumentales et de musique de Ballets (pour le théâtre de la Monnaie). Il semble que Singelée, proche ami de Sax, qu’il avait côtoyé lors de ses études à l’École Royale de Musique en 1828, a été l’un de ceux qui le poussèrent à développer particulièrement les quatre saxophones principaux (ceux qui composent le Quatuor). Il est le seul en effet avec Demerssemann à s’être intéressé à tous les membres de la famille, tant comme soliste (il écrit pour chacun d’eux, en tout une trentaine de fantaisies et autres Soli de concours pour les examens finaux de la classe du Conservatoire) qu’au sein du quatuor. Ceci semble d’ailleurs conforme au projet initial de l’inventeur, car le premier instrument qu’il a réalisé était un baryton (qui fut entendu dans l’Hymne Sacré de Berlioz dès 1842!), ce qui interroge sur l’hégémonie postérieure du saxophone alto. LE PREMIER QUATUOR OP 53 édité en 1857, est probablement la première oeuvre écrite pour cette formation instrumentale, dont Singelée est l’initiateur et le promoteur. Cette pièce, différente du reste de sa production, affecte une écriture que l’on pourrait qualifier de post-classique, dotant ainsi le répertoire de saxophone d’une ouverture sur le style en faveur du XIX siècle.

Écoutez : L’Allegro Vivace du PREMIER QUATUOR OP 53  / CD L’Aube du Saxophone / Quatuor Ars Gallica / Lidi 0106044 96

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JÉROME SAVARI

JÉROME SAVARI (1819-1870) Né à Paris, il a longtemps été confondu avec Jean-Nicolas Savary (facteur d’instruments si réputé qu’il a été appelé « le stradivarius du basson »), probablement parce que les catalogues d’éditions mentionnent son nom (sans prénom) indifféremment sous les deux orthographes. Après s’être engagé comme musicien (clarinettiste?) sur une frégate, Savari revient à Paris en 1842, date de l’installation de Sax dans la capitale française. C’est certainement à ce moment qu’il se familiarise avec le saxophone soprano, sans doute avec l’inventeur. Mais il ne fera jamais parti de la classe du Conservatoire, puisque celle-ci n’est ouverte qu’en 1857, date à laquelle il est nommé Chef de Musique au 34ème de Ligne. Ses états de services soulignent ses qualités de bon Harmoniste et de compositeur et son haut niveau d’instruction. Il fait huit campagnes à la tête de sa musique, notamment en Italie et en Afrique, et meurt en service à Bayonne. Sa production musicale pour saxophone (dédiée à divers militaires de carrière) est assez importante: 3 Fantaisies avec piano, et 7 ensembles, du duo à l’octuor. Adolphe Sax l’a édité de 1861 à 1862.

Écoutez : L’Allegro du Quatuor de J. Savari / CD L’Aube du Saxophone / Quatuor Ars Gallica / Lidi 0106044 96

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JEAN-BAPTISTE-VICTOR MOHR

JEAN-BAPTISTE-VICTOR MOHR (1823-1891) Il est salué par les différents journaux de l’époque comme l’un des cornistes parisiens les plus talentueux: son éviction en 1862 de la Société de Concerts au Conservatoire – parce qu’il avait osé jouer avec Pasdeloup – crée un véritable scandale. Il est plus tard nommé soliste de l’opéra, professeur au Conservatoire, et la critique l’encense en tant qu’auteur d’une méthode réputée. Compositeur, disciple de Michèle Carafa et ami de Sax (à qui il dédie son quatuor), il est l’auteur de diverses méthodes pour cor, ainsi que pour d’autres instruments à vent. Il fait de nombreux arrangements pour les nouvelles formules de musique, fanfares et harmonies militaires préconisées par Sax, dont il assure la direction. Tout comme Arban (cornet), Klosé (clarinette) et Dermessemann (flûte), il fait partie de cette phalange d’instrumentistes de premier ordre dont l’inventeur sut s’attacher le talent, et à qui il commanda (et publia) des pièces à vocations didactiques ou concertantes.

Écoutez : Quatuor de J-B Victor-Mohr / CD L’Aube du Saxophone / Quatuor Ars Gallica / Lidi 0106044 96

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LOUIS-ADOLPHE MAYEUR (1837-1894) Clarinettiste d’origine Belge, élève de Klosé, Sax lui commande diverses Fantaisies de 1869 à 1872. Il acquiert une grande popularité en tant que saxophoniste solo de l’Opéra (où il jouait également de la clarinette basse) et par sa position de chef d’orchestre des Concerts du Jardin d’Acclimatation. Fétis le décrit comme « l’un des plus habiles virtuoses du saxophone qui existe à Paris ». Mais il est publié dès 1876 chez Buffet-Crampon, l’un des adversaires les plus acharnés de l’inventeur (plusieurs procès en témoignent). Sax s’inquiète en 1883 « de ce qu’un artiste (Mayeur?) ait pu songer à me déposséder d’une position (professeur de saxophone) qui est ma création » dans une lettre du directeur du Conservatoire, qui étaye la thèse d’une rivalité entre les deux hommes. 
Malgré le titre, on ne connait pas d’autres pièces de cet auteur pour quatuor de saxophone : de sa production, quantitativement très importante, seuls subsistent des duos, un quintette, divers arrangements en trio, de très nombreuses Fantaisies sur des airs d’opéra pour saxophone et piano, et une célèbre méthode encore disponible aujourd’hui.

Écoutez : L’Allegro du Premier Quatuor 1888 de Louis Mayeur  / CD L’Aube du Saxophone / Quatuor Ars Gallica / Lidi 0106044 96

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RAYMOND MOULAERT

RAYMOND MOULAERT (1875-1962) Compositeur, pianiste et professeur belge, il étudia au Conservatoire de Bruxelles, où il sera aussi enseignant (pendant 43 ans). Il est spécialement apprécié pour ses cours de contrepoint, qu’il prodigue à la chapelle Musicale Reine Élizabeth. Musicologue, il supervise l’édition L' »Alceste » de Lully en 1932. Il est élu membre de l’Académie Royale de Belgique en 1955, et reçoit en 1958 le Prix Quinquennal du Gouvernement Belge. Son oeuvre fait une large part à la Mélodie, proche du style Fauré; orchestrateur de style plutôt Bartokien, il utilise des techniques de variations de formes strictes. On lui doit également un « Tango- Caprice » pour saxophone et orchestre écrit en 1942.

Écoutez : Fugue de la pièce Andante, Fugue et Finale de Raymond Moulaert / CD L’Aube du Saxophone / Quatuor Ars Gallica / Lidi 0106044 96

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Jean-Baptiste Arban

Joseph Jean-Baptiste Laurent Arban est né à Lyon le 28 février 1825 et il décède à Paris le 8 avril 1889. est cornettiste, enseignant et compositeur français. Il a publié une grande méthode complète pour le cornet à pistons et aussi pour le saxhorn en 1864.  En 1841, il entre au Conservatoire national supérieur de musique de Paris où il étudie la trompette avec François-Georges Auguste Dauverné.  Après être sorti du conservatoire, Arban passe au cornet (inventé en 1831). Il met au point une technique de jeu (en particulier le coup de langue), avec un niveau de virtuosité qui stupéfie les dirigeants du conservatoire lors de l’exécution en 1848, au cornet, d’une pièce pour flûte. Le 23 janvier 1869, il inaugure la classe de cornet au conservatoire de Paris, après une tentative infructueuse sept ans plus tôt. En 1880 il innove en recommandant l’usage d’une embouchure de nouveau design que celles traditionnelles. Il est chef d’orchestre et un compositeur prolifique en son temps. Il contribue aussi à la conception d’instruments qui l’amène à travailler avec Adolphe sax  en le conseillant sur la production de ses saxhorns et le teste  « Cornet compensateur » en 1848. Arban développe et fait breveter en 1883 un nouveau modèle de cornet. Entre 1883 et 1886 il apporte des améliorations è la constructions du cornet et collabore avec Bouvet qui est ingénieur concepteur d’instruments. Ils feront breveter plus tard un Cornet Arban-Bouvet. L’héritage le plus connu d’Arban est sa méthode d’apprentissage pour le cornet à pistons et saxhorn qui est considérée comme la « bible des trompettistes ».

Écoutez : Caprice & Variations / Claude Delangle  / CD Historic Saxophone 2003

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Hyacinthe Klosé

Hyacinthe Eléonore Klosé, est né le 11 octobre 1808 à Corfou et il est décédé à Paris le 29 août 1880. Il était un clarinettiste et aussi un compositeur français. Il a également enseigné au Conservatoire de Paris. 

 En 1831 il entre au Conservatoire de Paris pour étudier avec Frédéric Berr. Une fois ses études terminées il devient clarinettiste à l’orchestre du Théâtre-Italien, professeur à l’École Militaire de Musique et se produit également comme soliste. C’est après la mort de son professeur Berr que Klosé devient professeur de clarinette au Conservatoire de Paris.

Il contribue, avec le facteur Louis Auguste Buffet, à plusieurs améliorations techniques de la clarinette, entre autre le modèle avec les anneaux mobiles inventés inventés par Theobald Boehm.

 Il a enseigné pendant trente ans au Conservatoire et il a formé de nombreux clarinettistes de haut niveau. Klosé a écrit également quelques oeuvres pour clarinette (des Fantaisies sur des motifs d’Opéras). En plus, Il a écrit une méthode complète pour la clarinette qui est encore utilisée aujourd’hui dans les écoles de musique. 

Klosé a écrit également pour le saxophone entre autre dont la « Fantaisie Dramatique D’apres E. Depas ». Cette pièce a été éditée par Adolphe Sax lui-même.

Écoutez : Daniel (Fantaisie Dramatique D’apres E. Depas) / CD « Historic for Saxophone » / interprète Claude Delangle

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Jules Demersseman

Jules Auguste Demersseman était un flûtiste et compositeur français né le 19 janvier 1833 à Hondschoote dans le nord de la France. Il meurt le 1er décembre 1866 à l’âge de 33 ans à Paris possiblement de la tuberculose.

Demersseman a étudié au Conservatoire de Paris avec Jean-Louis Tulou à l’âge de 11 ans et déjà à 12 ans il gagne le premier en flûte traversière. Il devient donc rapidement un virtuose célèbre à son époque.

En plus d’être un musicien apprécié, il était un compositeur prolifique qui a écrit plusieurs oeuvres pour son instrument dont la plus célèbre de ses pièces aujourd’hui le « Solo de Concert Op. 82 no. 6 »  

Le saxophone qui venait d’être inventé a semblé intéresser Demersseman qui connaissait bien Adolphe Sax. Celui-ci lui a demandé de composer pour son nouvel instrument inventé en 1842 qu’il fit breveter en 1846. On peut considérer Jules Demersseman comme étant l’un des premiers compositeurs français à écrire de la musique pour le saxophone. Il a écrit entre autre une Fantaisie pour saxophone Alto et Piano, également  un Premier Solo « Andante et Boléro » pour Saxophone Ténor et un autre titré Deuxième Solo « Cavatine » pour Saxophone Baryton.

Écoutez : Fantaisie sur un thème original Claude Delangle / CD Historic Saxophone /

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Paul-Agricole Genin

Paul-Agricole Génin était un flûtiste français né le 14 février 1832 à Avignon et est mort le 22 décembre, 1903 à Paris. Génin était le flûtiste solo du théâtre des Italiens à Paris et aussi de l’orchestre Colonne.

Il a été nommé “officier de l’Académie des Beaux-Arts”.

En plus de sa carrière de flûtiste Paul-Agricole Genin était un compositeur assez prolifique qui a écrit au-delà de 60 oeuvres pour la flûte et aussi pour la clarinette et le saxophone. Il est d’ailleurs considéré comme étant parmi les premiers compositeurs avec Jean-Baptiste Singelée, Jules Demersseman, Jérôme Savari, Louis-Adolphe Mayeur, Raymond Moulaert, Hyacinthe Klosé et Jean-Baptiste Arban à avoir écrit pour le saxophone.

Parmi les pièces pour Saxophone, nous retrouvons les titres suivants : 

  • Air Florentin avec Variation, opus 65 pour alto saxophone et piano
  • Cantilène, opus 64 pour saxo. alto saxophone et piano
  • Mélodie avec Variation, opus 63 pour saxo. alto saxophone et piano
  • Solo de Concert, opus 15 pour saxo. alto saxophone et piano

D’ailleurs cette dernière œuvre était utilisé pour le concours du Conservatoire de Paris dans la classe d’Adolphe Sax, à qui l’œuvre est dédiée. Après une introduction lyrique qui utilise les effets d’écho, une danse pastorale est présentée et puis variée, la variation finale étant une valse brillante.

Écoutez : Solo de Concert, opus 15Claude Delangle / CD Historic Saxophone

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Léon Chic

Léon Chic était chef de la marine à Brest ou plus précisément chef de la musique-école de la Division. Il était l’organisateur de la musique des Équipages et il devait former des musiciens à la division navale. De 1850 à 1879 Léon Chic a formé près de 600 élèves musiciens. 

Il a participé à plusieurs transcriptions et ses publications originales étaient répandues et appréciées.

Il a beaucoup fait de transcriptions de musique pour les adapter à l’ensemble musical de sa Division mais il a également composé de la musique dont entre autre pour le saxophone. On peut penser à la pièce « Solo sur la Tyrolienne » pour saxo. Alto et Piano. Il fait parti des premiers compositeurs à avoir écrit pour cet instrument. 

Écoutez : Solo sur la Tyrolienne / Claude Delangle / CD Historic Saxophone

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Présentation du quatuor « Art Gallica: 

Présentation du quatuor « Ars Gallica », un ensemble qui est composé de Jérôme Bartaluci, Serge Bertocchi, Claude Héraud et Hervé Saillard.

TITRE DU CD: L’aube du saxophone, Musiques originales du XIX siècle pour quatuor de saxophones.

Écoutez : 1e quatuor IVe Allegretto / Jean-Baptiste Singelée Interprète : Quatuor de saxophones « Ars Gallica » / ÉTIQUETTE: Ligia digital
ARTISTES: /NUMÉRO DU CD: Lidi 0106044-96 « pure digital »

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Jean-Baptiste Singelée (1812-1876)

Chef d’orchestre et compositeur né à Bruxelles. Violoniste, il joue dans divers orchestres (dont celui de l’Opéra comique de Paris), Puis tient le violon solo au Théâtre Royal de Bruxelles. Il dirige ensuite les orchestres des Théâtres Royaux de Gand et de Bruxelles. Compositeur prolifique, il est entre autres l’auteur de deux concertis et de nombreuses Fantaisies pour violon, de diverses pièces instrumentales et de musique de Ballets (pour le théâtre de la Monnaie).

Il semble que Singelée, proche ami d’Adolphe Sax, qu’il avait côtoyé lors de ses études à l’École Royale de Musique en 1828, a été l’un de ceux qui le poussèrent à développer particulièrement les quatre saxophones principaux (ceux qui composent le Quatuor). Il est le seul en effet avec Demerssemann à s’être intéressé à tous les membres de la famille, tant comme soliste (il écrit pour chacun d’eux, en tout une trentaine de fantaisies et autres Soli de concours pour les examens finaux de la classe du Conservatoire) qu’au sein du quatuor. Ceci semble d’ailleurs conforme au projet initial de l’inventeur, car le premier instrument qu’il a réalisé était un baryton (qui fut entendu dans l’Hymne Sacré de Berlioz dès 1842!), ce qui interroge sur l’hégémonie postérieure du saxophone alto.

« Le Premier Quatuor op. 53 » édité en 1857, est probablement la première oeuvre écrite pour cette formation instrumentale, dont Singelée est l’initiateur et le promoteur. Cette pièce, différente du reste de sa production, affecte une écriture que l’on pourrait qualifier de post-classique, dotant ainsi le répertoire de saxophone d’une ouverture sur le style en faveur du XIX siècle.

Répertoire de Jean-Baptiste Singelée

1- Écoutez : Caprice op. 80 pour soprano / Claude Delangle / CD Claude et Odile Delangle « Historic Saxophone »

2- Écoutez : Deuxième solo (Cavatine) pour baryton / Claude Delangle / CD Claude et Odile Delangle « Historic Saxophone »

3- Écoutez : Fantaisie sur un thème originale pour alto / Claude Delangle / CD Claude et Odile Delangle « Historic Saxophone »

4- Écoutez : Premier solo (Andante et Bolero) pour ténor / Claude Delangle / CD Claude et Odile Delangle « Historic Saxophone »

5- Écoutez : 1e mouv. IV Allegretto / Interprète : Quatuor Ars Gallica

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Ali-Ben-Sou-Alle, un mystérieux saxophoniste du 19° Siècle

Le 19° siècle, bien que proche de nous, nous réserve encore bien des surprises. Ainsi ai-je découvert, par hasard, l’existence d’un saxophoniste dont le travail mérite d’être connu : Ali-Ben-Sou-Alle. Personnage insolite et original, il fut saxophoniste, compositeur, éditeur, mais aussi inventeur, puisqu’il apporta au saxophone quelques modifications importantes.

Ali-Ben-Sou-Alle, de son vrai nom Charles-Jean-Baptiste Soualle, est né à Arras en 1844. Ses études au Conservatoire de Paris se concluent par un 1° Prix de clarinette en 1844. Nommé directeur de la musique des troupes de marine au Sénégal, il devient ensuite clarinettiste à l’orchestre de l’Opéra Comique. Lorsque surviennent les évènements de 1848, il se réfugie en Angleterre, où il remplit la fonction de clarinette solo au théâtre de la reine.

C’est à cette même période qu’il étudie le saxophone. Se rendant compte de certaines imperfections de ce nouvel instrument, il y apporte quelques modifications : adoption d’une clé d’octave unique (le système actuel), adjonction de clés facilitant le doigté des notes graves si b, si, do, do# (brevets : 1860/61). Notons qu’il donne à ce saxophone amélioré le nom de turcophone. Fort de ces améliorations techniques, Ali-Ben-Sou-Alle devient en peu de temps un véritable virtuose, et « tire de son turcophone des effets jusqu’alors inconnus ».

Alibenale

L’aura dont il bénéficie à l’époque est bien rendu par les extraits de presse suivants :

 »Le saxophone, — ce délicieux instrument qui seul aurait suffi à faire la réputation de Sax si d’autres créations non moins importantes n’avaient déjà assigné une place hors ligne à cet éminent facteur, — vient d’obtenir un véritable triomphe au concert de l’ « Union musicale ». Le morceau exécuté par M. Soualle ne figurait pas sur le programme, et son succès, pour ainsi dire improvisé, n’en a été que plus flatteur pour l’instrument comme pour l’artiste. On savait que le saxophone avait un timbre mordant, velouté, et d’une suavité incomparable; qu’il était conséquemment tout à fait favorable aux développements d’un chant large, d’une mélodie expressive; mais qu’il fût également propre aux notes détachées, aux dessins les plus compliqués, aux mouvements les plus rapides, voilà ce que M. Soualle nous a prouvé : aussi les bravos ont accueilli le thème et chacune des variations de sa fantaisie. Une clarinette, une flûte, n’auraient pas fait mieux. Nous ne doutons pas qu’après cette épreuve décisive, d’habiles virtuoses ne s’empressent d’adopter un instrument qui leur promet de produire de nouveaux effets. »

Revue et Gazette Musicale » de 1851 « Deux brillants concerts en cinq jours, et cela par une chaleur de 30 degrés : c’est un véritable phénomène auquel nous venons d’assister et on n’avait pas eu d’exemple encore à Pondichéry. On dit même qu’un certain nombre de personnes, craignant sans doute de ne pas trouver place dans les salons, avaient envahi la toiture des dépendances du cercle (…) C’est que l’attrait était si grand! C’est que nous avions lu dans les journaux d’Australie, de Calcutta, de Madrid, et aussi dans ceux de Paris, de tels récits du merveilleux talent d’Ali-Ben-Sou-Alle, que chacun s’était empressé d’entendre le célèbre artiste. Aujourd’hui, nous pouvons l’apprécier en pleine connaissance de cause, et c’est pour nous un devoir de déclarer qu’il possède un talent hors ligne. Nous l’avons entendu avec le plus grand plaisir sur ses divers instruments : le turcophone (NDLR : alto ?), le turcophono (ténor ?), le turcophonini (soprano ?), la grande et la petite clarinette (…) ainsi que comme chanteur.
Les différents types de turcophones d’Ali-Ben-Sou-Alle sont à peu de chose près les saxophones, déjà connus depuis quelques années; c’est donc par erreur que les journaux lui en ont attribué l’invention. (…) Quand ceux-ci parurent, ils présentaient des difficultés, telles que peu d’exécutants purent jouer de ces instruments avec la précision qu’ils exigeaient, et surtout en tirer la qualité de sons qu’ils peuvent produire. Notre artiste fut le premier qui, sous la direction de M. Sax lui-même, et sous les yeux de MM. Berlioz, David et de quelques professeurs et compositeurs célèbres, en obtint les merveilleux effets que nous connaissons à présent. (…) Il s’est livré avec ardeur à leur étude, il se les est appropriés, en quelque sorte, et nous devons reconnaître qu’il y a parfaitement réussi. Sur ces divers instruments, Ali-Ben-Sou-Alle joue sa propre musique, et composition et exécution ne laissent rien à désirer. Il n’est pas possible d’imaginer quelque chose de plus doux et de plus suave que les sons qu’il tire de son Turcophone. (NDLR : suit la description du programme)
Quel que soit l’instrument qui serve d’interprète à sa pensée, on reconnaît dans Ali-Ben-Sou-Alle le véritable artiste. L’inspiration et le génie se peignent sur ses traits, et son âme tout entière vient se fondre en sons harmonieux. Somme toute, nous (lui) devons deux délicieuses soirées, et il nous en promet pour dimanche soir une troisième. La générosité est chez lui la compagne du talent, car avant de quitter Pondichéry, il nous donne un concert au bénéfice de la famille d’un artiste aimé des habitants de notre ville que nous venons de perdre récemment. Les salons du gouvernement seront mis à la disposition de l’artiste pour cette fête de bienfaisance. Ali-Ben-Sou-Alle a été parfaitement secondé par MM. Defries, Chevalier et Laville (NDLR : 3 pianistes ?!?). » Article du « Moniteur officiel des établissements Français en Inde », repris par la « Revue et Gazette Musicale de Paris », 1857. Dès lors, Ali-Ben-Sou-Alle commence à parcourir les capitales Européennes. Son succès grandissant, il embarque pour « des contrées lointaines et à demi-sauvages », où il parvient à donner des concerts. Il visite successivement l’Australie, la Nouvelle-Zélande (où dit-on, un bâtiment de la marine porte son nom), puis Manille, Java, Canton, Macao, Shanghaï, Calcutta, pour finalement se poser à Mysore, dans l’Indoustan. Il y est chef de la Musique du Radjah, tout en obtenant le titre de Chevalier Royal de Mysore. A cette même époque, il se convertit à l’Islam et adopte définitivement le nom d’Ali-Ben-Sou-Alle (cf. : gravures d’époque).
Après quelques années, il se remet en route et parcourt l’Ile Maurice, la Réunion, le Cap de Bonne Espérance, Cap Natal, puis revient à Mysore. La révolution des Indes éclate en 1858, après son retour, et il échappe de justesse à la mort.
Mais, sa santé s’étant quelque peu délabrée, il revient en Europe pour y être soigné. Le 27 mars 1865, il donne un concert aux Tuileries, en présence de la famille Impériale. Il joue égale ment en Angleterre devant le Prince de Galles cette même année. A cette occasion, Ali-Ben-Sou-Alle remet au Prince « The Royal Album », livret contenant des compositions évoquant chacun de ses voyages (série de compositions ayant pour titre « Souvenirs de … « , qu’il éditera en France en 1861). Malheureusement, les informations concernant Ali-Ben-Sou-Alle s’arrêtent après 1865. Cela coïncide avec le début du long déclin que connaîtra le saxophone après le Second Empire.
Etrange et mystérieux saxophoniste, Ali-Ben-Sou-Alle fut un avant-gardiste, travaillant sans relâche à la création d’un répertoire (plus de 40 compositions), et à l’amélioration de son instrument.

Fabien Chouraki (extraits d’un article paru dans le bulletin n°47 de l’As Sa Fra, novembre 1995)

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Adolphe Sax Dinantais génial

Le saxophone: “Son principal mérite, selon moi, est dans la beauté variée de son accent, tantôt grave, tantôt calme, tantôt passionné, rêveur ou mélancolique, ou vague comme l’écho affaibli d’un écho, comme les plaintes indistinctes de la brise dans les bois et, mieux encore, comme les vibrations mys- térieuses d’une cloche, longtemps après qu’elle a été frappée, aucun autre instrument de musique existant, à moi connu, ne possède cette curieuse sonorité, placée sur la limite du silence.” Hector Berlioz.

“… S’il était sans doute vétilleux, orgueilleux, légitimement ambitieux, il n’en a pas moins forcé l’estime d’un certain nombre de ses adversaires.
Sax restera dans l’histoire de son temps un génie de la facture des instruments à vent.” Malou Haine.

Adolphe Sax

Avec Joachim Patenier (1485-1524), créateur du paysagisme; avec Antoine Wiertz (1806-1865), le peintre lyrique; avec une pléiade d’artistes-sculpteurs, peintres, musiciens, dinandiers et autres, Dinant peut légitimement s’enorgueillir d’avoir vu naître en ses murs, le 6 novembre 1814, Antoine-Joseph dit Adolphe Sax, inventeur fécond et génial dans la facture des instruments de musique.

En 1860, le chroniqueur, Oscar Comettant, écrivait: “Par les services qu’il a rendus à l’art musical, par les luttes qu’il a eues à soutenir pour mettre à jour ses découvertes et les défendre de la spoliation et par les récompenses dont il a été l’objet de la part de toutes les nations industrielles, (la vie de Sax) s’élève à la hauteur d’un événement social. Les romanciers puiseront dans cette vie étrange des péripéties mystérieuses et émouvantes (ajoutons: le monde judiciaire trouvera dans le récit des “procès Sax”, un vaste domaine pour l’étude d’une jurisprudence)et les moralistes y trouveront des traits d’abnégation, de courage physique et de persévérance dont une âme élevée et un grand coeur sont seuls susceptibles.

Une enfance agitée

Adolphe Sax:  “C’est un homme d’un esprit pénétrant, lucide, obstiné, d’une persévérance à toute épreuve, d’une grande adresse, (…) à la fois calculateur, acousticien et au besoin fondeur, tourneur et ciseleur. Il sait penser et agir, il invente et il exécute”.  / Hector Berlioz (“Le Journal des Débats”, 12 juin 1842).

Antoine-Joseph Sax est né dans la rue qui, depuis 1896, porte son nom, dans une maison modeste, détruite en 1914, qui était construite sur l’emplacement actuel d’un important immeuble commercial.

Sur la façade de celui-ci, un vitrail et une inscription taillée dans la pierre: “Ici naquit Adolphe Sax. 1814-1894”. Ce vitrail fut inauguré solennellement le 27 juin 1954, à l’initiative du Syndicat d’Initiative et de Tourisme, sous le mayorat de M. Léon Sasserath. Il est l’oeuvre de M. Jean Jadin qui a dessiné le carton et de Melle Maggy Arzée, qui ont reçu l’enseignement de Melle Yvonne Gérard et de M. Perot, professeurs d’art graphique et de décoration à l’Académie des Beaux- Arts de Namur que dirigeait alors M. Lambeau. Il a été réalisé sous la direction du professeur M. Van de Capelle (1).

Fils de Charles-Joseph (1791-1865) et de Marie-Joseph Masson (1813-1861), Antoine-Joseph était l’aîné de onze enfants (six garçons et cinq filles, dont quatre seulement survivront, les autres étant morts à l’âge de 20 à 25 ans).

L’enfance est tragique. Sachant à peine se tenir debout, Antoine-Joseph fait une chute de trois étages, se cognant gravement la tête contre une pierre: on le croit mort. A 3 ans, il avale une coupe d’eau vitriolée, puis une épingle. Plus tard, il est gravement brûlé par une explosion de poudre; il tombe sur un poêle en fonte et se brûle un côté. A trois reprises, il manque l’empoisonnement et l’asphyxie, dans sa chambre où traînaient, la nuit, des objets vernis. Un autre jour, il reçoit un pavé sur la tête; il tombe dans une rivière et en est sauvé de justesse.

C’est un enfant condamné au malheur; il ne vivra pas”, disait sa mère. Dans le quartier, on l’appelait “le petit Sax, le revenant”.

Ces premiers incidents graves n’étaient -hélas!- que le prélude à une existence agitée dont il n’existe que peu d’exemples. En 1858, Adolphe Sax ne devait-il pas être miraculeusement sauvé d’un cancer à la lèvre, par un médecin noir qui connaissait les propriétés de certaines plantes indiennes? Que serait-il advenu sans cette intervention?

Charles-Joseph Sax

Menuisier-ébéniste, Charles-Joseph Sax se lance rapidement, et avec succès, dans la fabrication d’instruments de musique. Il exploite, dans la “rue Neuve”, un important atelier. Il acquiert, en ce domaine, une réputation telle qu’en 1815 (son fils aîné n’a qu’un an), il installe aussi un atelier à Bruxelles

(là naîtront les frères et soeurs d’Antoine-Joseph), où l’appelle Guillaume 1er d’Orange (nous sommes sous l’occupation hollandaise), qui le nomme facteur de
la Cour et lui confie le soin de doter d’instruments convenables les musiques des régiments belges. (1)

Autodidacte donc, Charles-Joseph Sax fabrique des instruments à vent en bois et en cuivre, même des violons et des pianos. Il prend une douzaine de brevets et il perfectionne ses instruments. Il participe avec succès à de nombreuses expositions où il obtient des distinctions flatteuses.

Non sans recevoir une instruction de l’un de ses oncles, instituteur à Dinant, Antoine-Joseph, à l’heure où il pourrait jouer, rire et s’amuser, observe le travail et y participe, dans l’atelier de son père. Il est intelligent et son esprit inventif se manifeste déjà, grâce à son amour pour la musique (tout jeune, il suivra des cours de chant et de flûte). Dès lors, il bénéficie des leçons de son père qui saisit bien vite ses capacités et met tout en oeuvre pour les développer. Loin de méconnaître les aspirations de son fils, Charles-Joseph Sax fait de celui- ci son apprenti qui, dès son jeune âge, prend conscience de l’importance de son travail, comme s’il pressentait son destin.

En 1853, après la mort de sept de ses onze enfants, après des ennuis financiers dans son entreprise de Bruxelles, Charles-Joseph rejoindra son fils à Paris. Le maître deviendra l’ouvrier qui sera d’ailleurs chargé de fabriquer des saxophones, jusqu’à sa mort, en 1865.

Une jeunesse productive

“Seul le saxo pouvait donner de la tendresse, de la passion nuancée                              de réserve contenue”.     Georges Bizet

Soutenu et aidé par son père, l’adolescent travaille. Il crée, il perfectionne des instruments et il en joue. Il a 16 ans lorsqu’il présente à l’Exposition de l’Industrie, à Bruxelles, des flûtes et des clarinettes en ivoire. A 20 ans, c’est une clarinette entièrement nouvelle, à 24 clés, oeuvre d’imagination et chef- d’oeuvre de travail manuel. Puis, une nouvelle clarinette basse qui provoque l’enthousiasme de Habeneck, chef d’orchestre de l’Opéra de Paris, de passage à Bruxelles, qui qualifie les autres clarinettes d’”instruments barbares”.

Mais dèjà, cette création provoque la jalousie du soliste de la “Grande Harmonie royale” de Bruxelles, qui refuse de l’utiliser parce que, dit-il, elle vient du “chétif élève Sax”. “Jouez donc de votre clarinette, répond Sax et je jouerai de la mienne.” Le défi accepté, Sax triomphe devant quatre mille personnes. Il devient soliste. On écrit, pour lui, des oeuvres qui, après son départ, ne furent plus interprétées, tant elles étaient difficiles!

Le jeune génie poursuit son oeuvre. Il invente un réflecteur de son, une nouvelle clarinette contrebasse, un procédé d’accord des pianos, qui est resté le secret de l’inventeur qui ne put l’exploiter, faute d’argent, probablement; un orgue à vapeur “capable de se faire entendre dans toute la province”: voilà qui prouve le penchant de Sax pour le colossal!

Les débuts de Sax jettent une lumière singulière sur son caractère (désormais, il s’appellera Adolphe): énergie, courage, dynamisme, totale confiance en
soi. Il refuse d’aller monter un établissement à Saint-Pétersbourg, rejette une proposition d’installation à Londres. C’est dire que sa réputation dépasse les frontières. Sax prend conscience de toutes ses possibilités et de son talent;

il conçoit l’oeuvre qu’il se sent appelé à réaliser; il est plein d’espoir et il croit posséder toutes les chances de réussite; il voit grand, il croit voir juste. Il étouffe dans son petit pays.

En 1840, il a présenté neuf inventions à l’exposition belge. On lui a refusé la première médaille, sous prétexte “qu’il était trop jeune et que l’on n’aurait plus rien àà lui offrir l’année suivante”.

Sax ne considère pas cela comme un hommage. Il est vexé dans son amour propre, sinon dans son orgueil. Il refuse la médaille en vermeil qu’on lui décerne, répondant fièrement: “Si l’on me trouve trop jeune pour mériter la médaille en or, je me trouve, moi, trop âgé pour accepter celle en vermeil »

L’appel de Paris

Le saxophone:
“la plus belle pâte de sons que je connaisse.”   Rossini.

Centre attractif de l’Europe, Paris le hante, Paris l’appelle. Le compositeur Halévy lui a écrit l’espoir que les compositeurs mettent en ses inventions: “Hâtez-vous de terminer votre nouvelle famille d’instruments (les saxophones) et venez en aide aux pauvres compositeurs qui cherchent du nouveau et au public qui en demande, n’en fût-il plus au monde.” Que l’on ajoute à cet appel et à l’affront de Bruxelles, les déboires familiaux, la décision tombe: Adolphe Sax part pour Paris “riche d’idées mais léger d’argent”: il possède en poche trente francs! 1842, c’est l’année du grand tournant dans la vie de Sax qui possède, à ce moment, sa nouvelle invention: le saxophone et sa famille. D’ailleurs, en 1841, ne l’a-t-il pas présenté à Bruxelles, anonymement, derrière un rideau, pour ne point le divulguer et pour éviter des risques de plagiat ?

Adolphe Sax a presque trente ans, “l’âge où le talent créateur de l’homme s’affirme, où se dessine la personnalité humaine.” A 27 ans, Bonaparte gagne sa première bataille d’Italie; Newton a 24 ans et Einstein 26, lorsqu’ils imposent leurs théories. Mozart meurt à 35 ans et Schubert à 31 ans. Les exemples de génies précoces sont nombreux. Comme l’a fort bien écrit un ancien Dinantais, (1) “il faut distinguer ici entre l’homme qui tire de sa propre pensée abstraite la matière que malaxera son génie, celui à qui les symboles et les signes suffisent pour faire jaillir une pensée lourde de vie contenue et de splendeurs latentes. Et cet autre à qui une technique, l’apprentissage lent et tenace de tout un appareillage compliqué est nécessaire pour permettre la réalisation matérielle de l’idée formelle. Comptez, par exemple, les mathématiciens précoces et les physiciens enfants. Les premiers existent, la liste des seconds est vierge. Sax est de la classe des intellectuels penchés sur la matière et non sur la forme pure.” 1842: voilà donc Adolphe Sax à Paris, rue Saint-Georges, dans un simple hangar. Pour s’installer, il a dû emprunter de l’argent à un musicien ami.

Grâce à Berlioz.

En juin 1842, par l’intermédiaire de Halévy, Sax rencontre Hector Berlioz dont l’influence est très grande dans les milieux musicaux parisiens, notamment par ses critiques dans “Le Journal des Débats”. Les deux hommes ont un entretien de plusieurs heures, au cours duquel Adolphe Sax développe au grand compositeur toutes ses idées et détaille longuement ses inventions et ses projets. Quelque peu fantasque, très renfermé, Berlioz écoute, muet. A la fin de cette conférence, il confie à Sax: “Demain, vous saurez ce que je pense de vos travaux”. Réponse assez ambiguë qui n’est pas sans provoquer le doute peut-être pour la première fois de sa vie dans l’esprit de Sax. Le 12 juin 1842, dans “Le Journal des Débats”, c’est la grande surprise: sur plusieurs colonnes, Berlioz exprime des éloges sans limites. L’article est reproduit dans la presse française et belge. Pour Sax, le départ est donné d’une vie féconde et prodigieuse, mais aussi tourmentée. La rançon sera l’envie, la jalousie, l’injustice, la haine et l’adversité avant, bien plus tard, la gloire. Dès ce moment, l’inventeur-compositeur-interprète est introduit partout dans le monde musical. Il fréquente de nombreux compositeurs qui ont foi en lui. Il est reçu dans les salons. Il donne de nombreuses auditions, devant les plus grands noms, dans son atelier et dans des salles. Le nom de Sax se répand partout.

Les défis

Essentiellement, Sax a donné son nom à quatre grandes familles d’instruments: saxhorns, saxotrombas, saxtubas, saxophones. C’est la première fois qu’un facteur s’intéresse non plus à un instrument unique, mais à une famille d’instruments. La famille des saxophones comprend sept instruments (1) allant du sopranino et du soprano, au basse et au contrebasse, en passant par l’alto, le ténor et le baryton. Ces instruments apportent un timbre absolument nouveau et séduisant, dans une forme nouvelle, en cuivre, et non plus en bois. Cette forme trouvée et adoptée par Sax est un cône parabolique. L’instrument se joue avec une anche; il imite les sons d’un instrument grave à archet. C’est là tout le secret technique du saxophone. Ainsi, la connaissance, par Sax, des principes de pro- portion lui assure une incontestable supériorité sur tous les autres facteurs. Voilà qui va être la principale source des multiples déboires de l’inventeur qui a pris l’habitude des défis. C’est le 21 mars 1846 seulement qu’il prend le brevet du saxophone dont il joue depuis bientôt quatre ans, sinon plus… et qui a été conçu dès 1838. Devant les attaques dont il est l’objet et peut-être un peu naïvement, il a lancé son défi à ses ennemis et concurrents: “J’attendrai un an encore avant de prendre ce brevet. On verra bien si, d’ici là, un facteur aura fabriqué un véritable saxophone!” Le défi ne peut être relevé et Sax tient sa promesse.

Les déboires

“Si le violon est le roi des instruments à cordes, le saxophone est le plus émouvant, le plus prenant, le plus agréable à entendre des instruments à vent et à anche (…) ceci grâce à sa sonorité douce et prenante, à la chaleur que l’on peut mettre en son jeu, grâce aussi à la vélocité que l’on peut obtenir...”      Eugène Bozza

Les années qui suivent vont être pénibles pour l’inventeur qui doit faire face à la lutte poussée à l’extrême, que déclenchent contre lui ses adversaires, ses con- currents, les contrefacteurs, qui s’organisent en société pour le combattre. On débauche son personnel; on empêche les musiciens d’utiliser ses instruments; des articles haineux sont publiés, assortis de caricatures blessantes. On exporte le saxophone après en avoir effacé la marque et on le réintroduit ostensiblement en France, après quelques modifications et nanti de nouveaux sigles. On attaque Sax devant les tribunaux, en nullité de ses brevets. Il faudrait un livre pour évoquer tous les procès intentés à tous les degrés de juridiction. Sax les gagne tous, non sans devenir demandeur en réparations, jusqu’à la reconnaissance finale. Toutes ces instances ruinent Sax dont la faillite est prononcée à trois reprises: 1852, 1873, 1877. Et pourtant, avec une centaine d’ouvriers, quelque vingt mille instruments sont sortis des ateliers Sax de 1843 à 1860! Ces déboires, qui ont aussi ruiné la santé de Sax, font écrire par Berlioz: “On renouvelle à Sax des persécutions dignes du Moyen-Age et qui rappellent exactement les faits et gestes de Benvenuto Cellini, le ciseleur florentin. On lui enlève ses ouvriers, on lui dérobe ses plans, on l’accuse de folie, on lui intente des procès avec un peu plus d’audace on l’assassinerait. (1) Telle est la haine que les inventeurs excitent toujours parmi ceux de leurs rivaux qui n’inventent rien.”

La réforme des Musiques militaires.

Un des grands exploits du génial Dinantais, une de ses plus grandes victoires aussi: la réforme des Musiques militaires. En 1845, les Musiques militaires françaises tombent en désuétude. Sur proposition d’Adolphe Sax qui lui offre ses instruments, le général de Rumigny, ministre de la Guerre, nomme une commission d’étude qui décide d’organiser un concours entre le système traditionnel et la formule de Sax. Une grande manifestation est organisée au Champ de Mars (emplacement actuel de la Tour Eiffel), le 22 avril 1845. L’ancien système est défendu par 45 musiciens professionnels dirigés par Carafa. Sax défend le sien avec les 38 musiciens qu’il a péniblement réussi à grouper, car sept lui ont fait défaut. Encore faut-il qu’il joue lui-même, alternativement, de deux instruments, deux exécutants lui ayant tourné le dos en dernière minute! Vingt mille personnes acclament Sax! C’est le triomphe et, le 10 août suivant, l’organisation Sax est officiellement adoptée, non sans provoquer de nouvelles hostilités de la part de musiciens évincés.

Inventions et perfectionnements.

La liste des inventions et des perfectionnements réalisés par Sax est très longue. Outre les familles déjà citées, il faut mentionner une réforme de notation musicale, des compositions, des méthodes (Sax est devenu professeur pour les musiciens militaires, au conservatoire de Paris dirigé par Auber), un mémoire sur l’influence des instruments à souffle sur les poumons, un projet d’école d’application pour les inventeurs, un plan de réorganisation des orchestres, une remarquable étude sur l’acoustique des salles, des améliorations à la plupart des instruments en cuivre et en bois. Au total: une bonne quarantaine, sans compter pas mal de trouvailles assez extravagantes et même très fantaisistes montrant cependant combien l’esprit inventif de Sax est constamment en éveil.

Le Saxophone

“Non point criard, non point violent,
sa voix est ronde, douce, pénétrante dans l’aigu,
pleine et onctueuse dans le grave, profondément expressive dans le médium … Revêtu de demi-teintes cuivrées, le saxo possède un accent particulier, une sorte de hâle ambré très séduisant.”
Marcel Perrin

Certes, le saxophone n’est pas adopté d’emblée par les compositeurs de l’époque, malgré les nombreuses appréciations flatteuses et les solides amitiés de Sax dans le monde musical. C’est une longue et lente ascension que l’instrument a connue dans le monde entier. Mais l’enthousiasme qu’il a suscité chez des auteurs, et non des moindres, a permis une utilisation qui s’est accrue d’année en année. Il a fallu d’ailleurs attendre 1942 -un siècle après l’invention pour que soit créée officiellement la première classe de saxophone, au Conservatoire de Paris, pour Marcel Mule, fondateur, en 1928, du premier quatuor de saxophones. Bruxelles a suivi, notamment sous l’impulsion du professeur Daneels. Ce sont d’abord des transcriptions et des arrangements de grands noms du classique qui voient le jour, car bien des compositeurs ne pensaient pas au saxophone ou craignaient même de l’utiliser dans des ensembles. Pour une réelle mise en valeur du saxophone, il a fallu Berlioz, Halévy, Meyerbeer, Donizetti, Verdi, Ambroise Thomas, Bizet, Wagner, Massenet, Delibes, Saint-Saëns, Puccini, Vincent d’Indy, Debussy, Glazounov, Ravel, Pierné, Richard Strauss, Satie, G. Charpentier, Tchaikowsky, Honegger, Singelée, Florent Schmitt, Jacques Ibert, Milhaud, Villa-Lobos, Gershwin, Britten et bien d’autres ; parmi les Belges: Paul Gilson, Léon Jongen, Jean Absil, Mortelmans, Marcel Poot, Théo Dejoncker, Van Moer, Dury, René Bernier, Gaston Brenta, Léon Stekke, René Barbier, Raymond Leduc, Henri Pousseur, Jean-Marie Simonis, Pierre Boulez et d’autres; les Dinantais Arthur Patinet, Pierre Rodrigue, Alain Crépin. On a dénombré plus de six mille titres d’oeuvres symphoniques utilisant un ou plusieurs saxophones, principalement l’alto et le ténor. Dans maints pays, ont été organisés des congrès et des concours de saxophone. Et qui dit que si le saxophone était né cent ans plus tôt, Beethoven et Mozart ne l’auraient pas utilisé ?…

…et son évolution.

Plus tard, se sont constituées des formations telles que des quatuors ou des sextuors, pour lesquelles bien des oeuvres ont été écrites. Des méthodes, des études, des exercices sont édités. Les bénéficiaires en sont aussi les fanfares, les harmonies civiles et militaires. Dans son livre “Le Saxophone”, de 1955, Marcel Perrin, professeur au conservatoire d’Alger et créateur d’un quatuor, considère que “la littérature du saxophone peut, en fait, se diviser en trois stades:

1.- Période stagnante: 1845 à 1918: compositions timides posées, style “rococo”, avec thème de variations, musique de salon et de concours.

2.- Période fulgurante: 1918 à 1930: le jazz!… l’Amérique!… trouée triomphale dans le voile gris d’un effacement persistant qui faillit être fatal au saxo.

3.- Période raisonnée: 1930 à nos jours: le saxophone enfin compris, commence à avoir “sa musique”. Il devient plus calme, plus “sérieux” et, se trouvant dans son atmosphère véritable, finit par s’imposer dans les plus grands concerts…

Le Jazz

“Le jazz n’est pas la chose dite, c’est la manière dont on la dit.”  Paul Withmann

“Sans le jazz, que serait la musique ? Mais sans le sax que serait le jazz ? Phrase souvent répétée. On peut ajouter: “C’est le jazz qui a fait le succès du sax et réciproquement. Tout le monde sait que c’est aux U.S.A. (Caroline du Sud, Loui- siane) que le jazz a pris naissance, avec ses réminiscences africaines. C’est vers 1850 déjà que s’implante dans les orchestres noires, l’instrumentation moderne (avec sax) qui se rapproche de la voix humaine.” En 1857 aussi, l’historiographe de Sax, Oscar Comettant, remarque déjà: “Les inventions précieuses de M. Sax ont porté leur fruit en Amérique comme en Europe.” C’est donc en 1918 que le jazz est importé avec son exubérance, en France, puis dans l’Europe entière. Les harmonies nouvelles étonnent et captivent le public, malgré le manque d’homogénéité des ensembles: c’est le “rag-time” puis le “hot”.

Dès lors, si les principes de base du saxophone sont restés les mêmes qu’au temps de Sax, l’instrument, bien sûr, a subi des transformations nécessitées par son nouvel emploi. Il a acquis, dans le jazz, la maîtrise absolue. Après une vogue d’environ cinq ans (1918-1923), le jazz est “trituré” par des fanatiques du rythme et du bruit, ce qui a discrédité même le sax. Heureusement, ont surgi d’excellents musiciens noirs et blancs tels que Trumbauer, Hodges, Sidney Bechet, Coleman Hawkins (qui est venu à Dinant en 1962), Carney, Alix Combelle, Hubert Rostaing, Benny Carter, les Belges Bob Jaspar, Jacques Pelzer, Steve Houben , Erwin Vann et bien d’autres, ainsi que des formations telles que celles de Paul Withmann, Ray Ventura, Jo Bouillon, qui ont apporté au jazz un sang nouveau et au sax la place qui lui revenait, avec plus d’expression et de forme émotive. Les progrès de la technique (enregistrements, films) ont fait le reste fort bien, tant dans le jazz que dans la musique symphonique et lyrique et dans les musiques militaires et civiles.

Le Souvenir

Pour la petite histoire: Sax ne s’est jamais marié. Il eut cependant une compagne, Louise-Adèle Maor, d’origine espagnole, morte à trente ans, qui lui donna cinq enfants, tous reconnus par leur père. Il semble que son origine était modeste. C’est pourquoi, Sax ne voulait pas qu’elle paraîsse en public… Le génial Dinantais, auquel on ne pourra jamais assez rendre hommage, est mort à Paris, le 7 février 1894. Son corps repose au cimetière dit “de Montmartre” (18e arrondissement), dans une tombe-chapelle, aux côtés de six membres de sa famille.

Un de ses fils, Adolphe-Edouard, poursuivit les affaires. En 1928, celles-ci furent reprises par la maison Selmer, de Paris. De Sax, Dinantais génial, Dinant peut être fière ! Que les générations à venir s’en souviennent toujours !

Albert REMY

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