Adolphe Sax Dinantais génial
Source : Albert Remy
Edition de l’Association Internationale Adolphe Sax
Le saxophone: “Son principal mérite, selon moi, est dans la beauté variée de son accent, tantôt grave, tantôt calme, tantôt passionné, rêveur ou mélancolique, ou vague comme l’écho affaibli d’un écho, comme les plaintes indistinctes de la brise dans les bois et, mieux encore, comme les vibrations mys- térieuses d’une cloche, longtemps après qu’elle a été frappée, aucun autre instrument de musique existant, à moi connu, ne possède cette curieuse sonorité, placée sur la limite du silence.” Hector Berlioz.
“… S’il était sans doute vétilleux, orgueilleux, légitimement ambitieux, il n’en a pas moins forcé l’estime d’un certain nombre de ses adversaires.
Sax restera dans l’histoire de son temps un génie de la facture des instruments à vent.” Malou Haine.
Adolphe Sax
Avec Joachim Patenier (1485-1524), créateur du paysagisme; avec Antoine Wiertz (1806-1865), le peintre lyrique; avec une pléiade d’artistes-sculpteurs, peintres, musiciens, dinandiers et autres, Dinant peut légitimement s’enorgueillir d’avoir vu naître en ses murs, le 6 novembre 1814, Antoine-Joseph dit Adolphe Sax, inventeur fécond et génial dans la facture des instruments de musique.
En 1860, le chroniqueur, Oscar Comettant, écrivait: “Par les services qu’il a rendus à l’art musical, par les luttes qu’il a eues à soutenir pour mettre à jour ses découvertes et les défendre de la spoliation et par les récompenses dont il a été l’objet de la part de toutes les nations industrielles, (la vie de Sax) s’élève à la hauteur d’un événement social. Les romanciers puiseront dans cette vie étrange des péripéties mystérieuses et émouvantes (ajoutons: le monde judiciaire trouvera dans le récit des “procès Sax”, un vaste domaine pour l’étude d’une jurisprudence)et les moralistes y trouveront des traits d’abnégation, de courage physique et de persévérance dont une âme élevée et un grand coeur sont seuls susceptibles.
Une enfance agitée
Adolphe Sax: “C’est un homme d’un esprit pénétrant, lucide, obstiné, d’une persévérance à toute épreuve, d’une grande adresse, (…) à la fois calculateur, acousticien et au besoin fondeur, tourneur et ciseleur. Il sait penser et agir, il invente et il exécute”. / Hector Berlioz (“Le Journal des Débats”, 12 juin 1842).
Antoine-Joseph Sax est né dans la rue qui, depuis 1896, porte son nom, dans une maison modeste, détruite en 1914, qui était construite sur l’emplacement actuel d’un important immeuble commercial.
Sur la façade de celui-ci, un vitrail et une inscription taillée dans la pierre: “Ici naquit Adolphe Sax. 1814-1894”. Ce vitrail fut inauguré solennellement le 27 juin 1954, à l’initiative du Syndicat d’Initiative et de Tourisme, sous le mayorat de M. Léon Sasserath. Il est l’oeuvre de M. Jean Jadin qui a dessiné le carton et de Melle Maggy Arzée, qui ont reçu l’enseignement de Melle Yvonne Gérard et de M. Perot, professeurs d’art graphique et de décoration à l’Académie des Beaux- Arts de Namur que dirigeait alors M. Lambeau. Il a été réalisé sous la direction du professeur M. Van de Capelle (1).
Fils de Charles-Joseph (1791-1865) et de Marie-Joseph Masson (1813-1861), Antoine-Joseph était l’aîné de onze enfants (six garçons et cinq filles, dont quatre seulement survivront, les autres étant morts à l’âge de 20 à 25 ans).
L’enfance est tragique. Sachant à peine se tenir debout, Antoine-Joseph fait une chute de trois étages, se cognant gravement la tête contre une pierre: on le croit mort. A 3 ans, il avale une coupe d’eau vitriolée, puis une épingle. Plus tard, il est gravement brûlé par une explosion de poudre; il tombe sur un poêle en fonte et se brûle un côté. A trois reprises, il manque l’empoisonnement et l’asphyxie, dans sa chambre où traînaient, la nuit, des objets vernis. Un autre jour, il reçoit un pavé sur la tête; il tombe dans une rivière et en est sauvé de justesse.
“C’est un enfant condamné au malheur; il ne vivra pas”, disait sa mère. Dans le quartier, on l’appelait “le petit Sax, le revenant”.
Ces premiers incidents graves n’étaient -hélas!- que le prélude à une existence agitée dont il n’existe que peu d’exemples. En 1858, Adolphe Sax ne devait-il pas être miraculeusement sauvé d’un cancer à la lèvre, par un médecin noir qui connaissait les propriétés de certaines plantes indiennes? Que serait-il advenu sans cette intervention?
Charles-Joseph Sax
Menuisier-ébéniste, Charles-Joseph Sax se lance rapidement, et avec succès, dans la fabrication d’instruments de musique. Il exploite, dans la “rue Neuve”, un important atelier. Il acquiert, en ce domaine, une réputation telle qu’en 1815 (son fils aîné n’a qu’un an), il installe aussi un atelier à Bruxelles
(là naîtront les frères et soeurs d’Antoine-Joseph), où l’appelle Guillaume 1er d’Orange (nous sommes sous l’occupation hollandaise), qui le nomme facteur de
la Cour et lui confie le soin de doter d’instruments convenables les musiques des régiments belges. (1)
Autodidacte donc, Charles-Joseph Sax fabrique des instruments à vent en bois et en cuivre, même des violons et des pianos. Il prend une douzaine de brevets et il perfectionne ses instruments. Il participe avec succès à de nombreuses expositions où il obtient des distinctions flatteuses.
Non sans recevoir une instruction de l’un de ses oncles, instituteur à Dinant, Antoine-Joseph, à l’heure où il pourrait jouer, rire et s’amuser, observe le travail et y participe, dans l’atelier de son père. Il est intelligent et son esprit inventif se manifeste déjà, grâce à son amour pour la musique (tout jeune, il suivra des cours de chant et de flûte). Dès lors, il bénéficie des leçons de son père qui saisit bien vite ses capacités et met tout en oeuvre pour les développer. Loin de méconnaître les aspirations de son fils, Charles-Joseph Sax fait de celui- ci son apprenti qui, dès son jeune âge, prend conscience de l’importance de son travail, comme s’il pressentait son destin.
En 1853, après la mort de sept de ses onze enfants, après des ennuis financiers dans son entreprise de Bruxelles, Charles-Joseph rejoindra son fils à Paris. Le maître deviendra l’ouvrier qui sera d’ailleurs chargé de fabriquer des saxophones, jusqu’à sa mort, en 1865.
Une jeunesse productive
“Seul le saxo pouvait donner de la tendresse, de la passion nuancée de réserve contenue”. Georges Bizet
Soutenu et aidé par son père, l’adolescent travaille. Il crée, il perfectionne des instruments et il en joue. Il a 16 ans lorsqu’il présente à l’Exposition de l’Industrie, à Bruxelles, des flûtes et des clarinettes en ivoire. A 20 ans, c’est une clarinette entièrement nouvelle, à 24 clés, oeuvre d’imagination et chef- d’oeuvre de travail manuel. Puis, une nouvelle clarinette basse qui provoque l’enthousiasme de Habeneck, chef d’orchestre de l’Opéra de Paris, de passage à Bruxelles, qui qualifie les autres clarinettes d’”instruments barbares”.
Mais dèjà, cette création provoque la jalousie du soliste de la “Grande Harmonie royale” de Bruxelles, qui refuse de l’utiliser parce que, dit-il, elle vient du “chétif élève Sax”. “Jouez donc de votre clarinette, répond Sax et je jouerai de la mienne.” Le défi accepté, Sax triomphe devant quatre mille personnes. Il devient soliste. On écrit, pour lui, des oeuvres qui, après son départ, ne furent plus interprétées, tant elles étaient difficiles!
Le jeune génie poursuit son oeuvre. Il invente un réflecteur de son, une nouvelle clarinette contrebasse, un procédé d’accord des pianos, qui est resté le secret de l’inventeur qui ne put l’exploiter, faute d’argent, probablement; un orgue à vapeur “capable de se faire entendre dans toute la province”: voilà qui prouve le penchant de Sax pour le colossal!
Les débuts de Sax jettent une lumière singulière sur son caractère (désormais, il s’appellera Adolphe): énergie, courage, dynamisme, totale confiance en
soi. Il refuse d’aller monter un établissement à Saint-Pétersbourg, rejette une proposition d’installation à Londres. C’est dire que sa réputation dépasse les frontières. Sax prend conscience de toutes ses possibilités et de son talent;
il conçoit l’oeuvre qu’il se sent appelé à réaliser; il est plein d’espoir et il croit posséder toutes les chances de réussite; il voit grand, il croit voir juste. Il étouffe dans son petit pays.
En 1840, il a présenté neuf inventions à l’exposition belge. On lui a refusé la première médaille, sous prétexte “qu’il était trop jeune et que l’on n’aurait plus rien àà lui offrir l’année suivante”.
Sax ne considère pas cela comme un hommage. Il est vexé dans son amour propre, sinon dans son orgueil. Il refuse la médaille en vermeil qu’on lui décerne, répondant fièrement: “Si l’on me trouve trop jeune pour mériter la médaille en or, je me trouve, moi, trop âgé pour accepter celle en vermeil »
L’appel de Paris
Le saxophone:
“la plus belle pâte de sons que je connaisse.” Rossini.
Centre attractif de l’Europe, Paris le hante, Paris l’appelle. Le compositeur Halévy lui a écrit l’espoir que les compositeurs mettent en ses inventions: “Hâtez-vous de terminer votre nouvelle famille d’instruments (les saxophones) et venez en aide aux pauvres compositeurs qui cherchent du nouveau et au public qui en demande, n’en fût-il plus au monde.” Que l’on ajoute à cet appel et à l’affront de Bruxelles, les déboires familiaux, la décision tombe: Adolphe Sax part pour Paris “riche d’idées mais léger d’argent”: il possède en poche trente francs! 1842, c’est l’année du grand tournant dans la vie de Sax qui possède, à ce moment, sa nouvelle invention: le saxophone et sa famille. D’ailleurs, en 1841, ne l’a-t-il pas présenté à Bruxelles, anonymement, derrière un rideau, pour ne point le divulguer et pour éviter des risques de plagiat ?
Adolphe Sax a presque trente ans, “l’âge où le talent créateur de l’homme s’affirme, où se dessine la personnalité humaine.” A 27 ans, Bonaparte gagne sa première bataille d’Italie; Newton a 24 ans et Einstein 26, lorsqu’ils imposent leurs théories. Mozart meurt à 35 ans et Schubert à 31 ans. Les exemples de génies précoces sont nombreux. Comme l’a fort bien écrit un ancien Dinantais, (1) “il faut distinguer ici entre l’homme qui tire de sa propre pensée abstraite la matière que malaxera son génie, celui à qui les symboles et les signes suffisent pour faire jaillir une pensée lourde de vie contenue et de splendeurs latentes. Et cet autre à qui une technique, l’apprentissage lent et tenace de tout un appareillage compliqué est nécessaire pour permettre la réalisation matérielle de l’idée formelle. Comptez, par exemple, les mathématiciens précoces et les physiciens enfants. Les premiers existent, la liste des seconds est vierge. Sax est de la classe des intellectuels penchés sur la matière et non sur la forme pure.” 1842: voilà donc Adolphe Sax à Paris, rue Saint-Georges, dans un simple hangar. Pour s’installer, il a dû emprunter de l’argent à un musicien ami.
Grâce à Berlioz.
En juin 1842, par l’intermédiaire de Halévy, Sax rencontre Hector Berlioz dont l’influence est très grande dans les milieux musicaux parisiens, notamment par ses critiques dans “Le Journal des Débats”. Les deux hommes ont un entretien de plusieurs heures, au cours duquel Adolphe Sax développe au grand compositeur toutes ses idées et détaille longuement ses inventions et ses projets. Quelque peu fantasque, très renfermé, Berlioz écoute, muet. A la fin de cette conférence, il confie à Sax: “Demain, vous saurez ce que je pense de vos travaux”. Réponse assez ambiguë qui n’est pas sans provoquer le doute peut-être pour la première fois de sa vie dans l’esprit de Sax. Le 12 juin 1842, dans “Le Journal des Débats”, c’est la grande surprise: sur plusieurs colonnes, Berlioz exprime des éloges sans limites. L’article est reproduit dans la presse française et belge. Pour Sax, le départ est donné d’une vie féconde et prodigieuse, mais aussi tourmentée. La rançon sera l’envie, la jalousie, l’injustice, la haine et l’adversité avant, bien plus tard, la gloire. Dès ce moment, l’inventeur-compositeur-interprète est introduit partout dans le monde musical. Il fréquente de nombreux compositeurs qui ont foi en lui. Il est reçu dans les salons. Il donne de nombreuses auditions, devant les plus grands noms, dans son atelier et dans des salles. Le nom de Sax se répand partout.
Les défis
Essentiellement, Sax a donné son nom à quatre grandes familles d’instruments: saxhorns, saxotrombas, saxtubas, saxophones. C’est la première fois qu’un facteur s’intéresse non plus à un instrument unique, mais à une famille d’instruments. La famille des saxophones comprend sept instruments (1) allant du sopranino et du soprano, au basse et au contrebasse, en passant par l’alto, le ténor et le baryton. Ces instruments apportent un timbre absolument nouveau et séduisant, dans une forme nouvelle, en cuivre, et non plus en bois. Cette forme trouvée et adoptée par Sax est un cône parabolique. L’instrument se joue avec une anche; il imite les sons d’un instrument grave à archet. C’est là tout le secret technique du saxophone. Ainsi, la connaissance, par Sax, des principes de pro- portion lui assure une incontestable supériorité sur tous les autres facteurs. Voilà qui va être la principale source des multiples déboires de l’inventeur qui a pris l’habitude des défis. C’est le 21 mars 1846 seulement qu’il prend le brevet du saxophone dont il joue depuis bientôt quatre ans, sinon plus… et qui a été conçu dès 1838. Devant les attaques dont il est l’objet et peut-être un peu naïvement, il a lancé son défi à ses ennemis et concurrents: “J’attendrai un an encore avant de prendre ce brevet. On verra bien si, d’ici là, un facteur aura fabriqué un véritable saxophone!” Le défi ne peut être relevé et Sax tient sa promesse.
Les déboires
“Si le violon est le roi des instruments à cordes, le saxophone est le plus émouvant, le plus prenant, le plus agréable à entendre des instruments à vent et à anche (…) ceci grâce à sa sonorité douce et prenante, à la chaleur que l’on peut mettre en son jeu, grâce aussi à la vélocité que l’on peut obtenir...” Eugène Bozza
Les années qui suivent vont être pénibles pour l’inventeur qui doit faire face à la lutte poussée à l’extrême, que déclenchent contre lui ses adversaires, ses con- currents, les contrefacteurs, qui s’organisent en société pour le combattre. On débauche son personnel; on empêche les musiciens d’utiliser ses instruments; des articles haineux sont publiés, assortis de caricatures blessantes. On exporte le saxophone après en avoir effacé la marque et on le réintroduit ostensiblement en France, après quelques modifications et nanti de nouveaux sigles. On attaque Sax devant les tribunaux, en nullité de ses brevets. Il faudrait un livre pour évoquer tous les procès intentés à tous les degrés de juridiction. Sax les gagne tous, non sans devenir demandeur en réparations, jusqu’à la reconnaissance finale. Toutes ces instances ruinent Sax dont la faillite est prononcée à trois reprises: 1852, 1873, 1877. Et pourtant, avec une centaine d’ouvriers, quelque vingt mille instruments sont sortis des ateliers Sax de 1843 à 1860! Ces déboires, qui ont aussi ruiné la santé de Sax, font écrire par Berlioz: “On renouvelle à Sax des persécutions dignes du Moyen-Age et qui rappellent exactement les faits et gestes de Benvenuto Cellini, le ciseleur florentin. On lui enlève ses ouvriers, on lui dérobe ses plans, on l’accuse de folie, on lui intente des procès avec un peu plus d’audace on l’assassinerait. (1) Telle est la haine que les inventeurs excitent toujours parmi ceux de leurs rivaux qui n’inventent rien.”
La réforme des Musiques militaires.
Un des grands exploits du génial Dinantais, une de ses plus grandes victoires aussi: la réforme des Musiques militaires. En 1845, les Musiques militaires françaises tombent en désuétude. Sur proposition d’Adolphe Sax qui lui offre ses instruments, le général de Rumigny, ministre de la Guerre, nomme une commission d’étude qui décide d’organiser un concours entre le système traditionnel et la formule de Sax. Une grande manifestation est organisée au Champ de Mars (emplacement actuel de la Tour Eiffel), le 22 avril 1845. L’ancien système est défendu par 45 musiciens professionnels dirigés par Carafa. Sax défend le sien avec les 38 musiciens qu’il a péniblement réussi à grouper, car sept lui ont fait défaut. Encore faut-il qu’il joue lui-même, alternativement, de deux instruments, deux exécutants lui ayant tourné le dos en dernière minute! Vingt mille personnes acclament Sax! C’est le triomphe et, le 10 août suivant, l’organisation Sax est officiellement adoptée, non sans provoquer de nouvelles hostilités de la part de musiciens évincés.
Inventions et perfectionnements.
La liste des inventions et des perfectionnements réalisés par Sax est très longue. Outre les familles déjà citées, il faut mentionner une réforme de notation musicale, des compositions, des méthodes (Sax est devenu professeur pour les musiciens militaires, au conservatoire de Paris dirigé par Auber), un mémoire sur l’influence des instruments à souffle sur les poumons, un projet d’école d’application pour les inventeurs, un plan de réorganisation des orchestres, une remarquable étude sur l’acoustique des salles, des améliorations à la plupart des instruments en cuivre et en bois. Au total: une bonne quarantaine, sans compter pas mal de trouvailles assez extravagantes et même très fantaisistes montrant cependant combien l’esprit inventif de Sax est constamment en éveil.
Le Saxophone
“Non point criard, non point violent,
sa voix est ronde, douce, pénétrante dans l’aigu,
pleine et onctueuse dans le grave, profondément expressive dans le médium … Revêtu de demi-teintes cuivrées, le saxo possède un accent particulier, une sorte de hâle ambré très séduisant.”
Marcel Perrin
Certes, le saxophone n’est pas adopté d’emblée par les compositeurs de l’époque, malgré les nombreuses appréciations flatteuses et les solides amitiés de Sax dans le monde musical. C’est une longue et lente ascension que l’instrument a connue dans le monde entier. Mais l’enthousiasme qu’il a suscité chez des auteurs, et non des moindres, a permis une utilisation qui s’est accrue d’année en année. Il a fallu d’ailleurs attendre 1942 -un siècle après l’invention pour que soit créée officiellement la première classe de saxophone, au Conservatoire de Paris, pour Marcel Mule, fondateur, en 1928, du premier quatuor de saxophones. Bruxelles a suivi, notamment sous l’impulsion du professeur Daneels. Ce sont d’abord des transcriptions et des arrangements de grands noms du classique qui voient le jour, car bien des compositeurs ne pensaient pas au saxophone ou craignaient même de l’utiliser dans des ensembles. Pour une réelle mise en valeur du saxophone, il a fallu Berlioz, Halévy, Meyerbeer, Donizetti, Verdi, Ambroise Thomas, Bizet, Wagner, Massenet, Delibes, Saint-Saëns, Puccini, Vincent d’Indy, Debussy, Glazounov, Ravel, Pierné, Richard Strauss, Satie, G. Charpentier, Tchaikowsky, Honegger, Singelée, Florent Schmitt, Jacques Ibert, Milhaud, Villa-Lobos, Gershwin, Britten et bien d’autres ; parmi les Belges: Paul Gilson, Léon Jongen, Jean Absil, Mortelmans, Marcel Poot, Théo Dejoncker, Van Moer, Dury, René Bernier, Gaston Brenta, Léon Stekke, René Barbier, Raymond Leduc, Henri Pousseur, Jean-Marie Simonis, Pierre Boulez et d’autres; les Dinantais Arthur Patinet, Pierre Rodrigue, Alain Crépin. On a dénombré plus de six mille titres d’oeuvres symphoniques utilisant un ou plusieurs saxophones, principalement l’alto et le ténor. Dans maints pays, ont été organisés des congrès et des concours de saxophone. Et qui dit que si le saxophone était né cent ans plus tôt, Beethoven et Mozart ne l’auraient pas utilisé ?…
…et son évolution.
Plus tard, se sont constituées des formations telles que des quatuors ou des sextuors, pour lesquelles bien des oeuvres ont été écrites. Des méthodes, des études, des exercices sont édités. Les bénéficiaires en sont aussi les fanfares, les harmonies civiles et militaires. Dans son livre “Le Saxophone”, de 1955, Marcel Perrin, professeur au conservatoire d’Alger et créateur d’un quatuor, considère que “la littérature du saxophone peut, en fait, se diviser en trois stades:
1.- Période stagnante: 1845 à 1918: compositions timides posées, style “rococo”, avec thème de variations, musique de salon et de concours.
2.- Période fulgurante: 1918 à 1930: le jazz!… l’Amérique!… trouée triomphale dans le voile gris d’un effacement persistant qui faillit être fatal au saxo.
3.- Période raisonnée: 1930 à nos jours: le saxophone enfin compris, commence à avoir “sa musique”. Il devient plus calme, plus “sérieux” et, se trouvant dans son atmosphère véritable, finit par s’imposer dans les plus grands concerts…
Le Jazz
“Le jazz n’est pas la chose dite, c’est la manière dont on la dit.” Paul Withmann
“Sans le jazz, que serait la musique ? Mais sans le sax que serait le jazz ? Phrase souvent répétée. On peut ajouter: “C’est le jazz qui a fait le succès du sax et réciproquement. Tout le monde sait que c’est aux U.S.A. (Caroline du Sud, Loui- siane) que le jazz a pris naissance, avec ses réminiscences africaines. C’est vers 1850 déjà que s’implante dans les orchestres noires, l’instrumentation moderne (avec sax) qui se rapproche de la voix humaine.” En 1857 aussi, l’historiographe de Sax, Oscar Comettant, remarque déjà: “Les inventions précieuses de M. Sax ont porté leur fruit en Amérique comme en Europe.” C’est donc en 1918 que le jazz est importé avec son exubérance, en France, puis dans l’Europe entière. Les harmonies nouvelles étonnent et captivent le public, malgré le manque d’homogénéité des ensembles: c’est le “rag-time” puis le “hot”.
Dès lors, si les principes de base du saxophone sont restés les mêmes qu’au temps de Sax, l’instrument, bien sûr, a subi des transformations nécessitées par son nouvel emploi. Il a acquis, dans le jazz, la maîtrise absolue. Après une vogue d’environ cinq ans (1918-1923), le jazz est “trituré” par des fanatiques du rythme et du bruit, ce qui a discrédité même le sax. Heureusement, ont surgi d’excellents musiciens noirs et blancs tels que Trumbauer, Hodges, Sidney Bechet, Coleman Hawkins (qui est venu à Dinant en 1962), Carney, Alix Combelle, Hubert Rostaing, Benny Carter, les Belges Bob Jaspar, Jacques Pelzer, Steve Houben , Erwin Vann et bien d’autres, ainsi que des formations telles que celles de Paul Withmann, Ray Ventura, Jo Bouillon, qui ont apporté au jazz un sang nouveau et au sax la place qui lui revenait, avec plus d’expression et de forme émotive. Les progrès de la technique (enregistrements, films) ont fait le reste fort bien, tant dans le jazz que dans la musique symphonique et lyrique et dans les musiques militaires et civiles.
Le Souvenir
Pour la petite histoire: Sax ne s’est jamais marié. Il eut cependant une compagne, Louise-Adèle Maor, d’origine espagnole, morte à trente ans, qui lui donna cinq enfants, tous reconnus par leur père. Il semble que son origine était modeste. C’est pourquoi, Sax ne voulait pas qu’elle paraîsse en public… Le génial Dinantais, auquel on ne pourra jamais assez rendre hommage, est mort à Paris, le 7 février 1894. Son corps repose au cimetière dit “de Montmartre” (18e arrondissement), dans une tombe-chapelle, aux côtés de six membres de sa famille.
Un de ses fils, Adolphe-Edouard, poursuivit les affaires. En 1928, celles-ci furent reprises par la maison Selmer, de Paris. De Sax, Dinantais génial, Dinant peut être fière ! Que les générations à venir s’en souviennent toujours !
Albert REMY